Une visite culinaire et éthique
L’été dernier, les étudiants de première année en Lettres et Sciences de l’Université de Californie à Berkeley ont tous reçu une copie du livre The Omnivore Dilemma de Michael Pollan. Dans le cadre du programme On the same page, les étudiants étaient invités à assister à des séminaires et à discuter de la question fondamentale posée dans le best seller : que faut-il manger?
Pour Pollan la réponse devrait être « Eat Food. Not too much. Mostly plants ». Au cours des derniers jours, j’ai pu parcourir les épiceries, cafés, restaurants et marchés de San Francisco et si je devais résumer mes impressions en une phrase, je dirais que tout le monde ici a l’air d’avoir lu Pollan. San Francisco, c’est un peu le paradis du flexitarien consciencieux. À San Francisco, les questions relatives à l’environnement et au réchauffement climatique font partie du discours politique depuis plusieurs années et les Californiens sont depuis longtemps obsédés par leur santé. C’est pour ces raisons qu’on cherche plus que jamais à se nourrir de produits locaux et bios (en allant jusqu’à les cultiver soi-même; San Francisco est une capitale de l’agriculture urbaine). C’est aussi essentiellement pour des raisons environnementales et de santé que les plats végés sont intégrés à la vie quotidienne.
Chez Panisse
Fondé en 1971 par Alice Waters, Chez Panisse, situé à quelques pas de la célèbre université à Berkeley, est considéré par plusieurs comme le berceau de la cuisine californienne : un mesclun de styles et d’ingrédients, des produits locaux et un intérêt porté sur la présentation. On attribue notamment à Alice Waters l’invention de la désormais classique salade où le fromage de chèvre est enrobé de panure et cuit avant d’être posé sur des feuilles de laitue. Chez Panisse soutient l’agriculture biologique depuis son ouverture et a fait la manchette en 2007 en supprimant l’eau en bouteille de ses tables.
Chez Panisse, c’est aussi un café au 2e étage du resto étoilé Michelin où je suis allée luncher après une petite visite du campus universitaire. Une assez grande salle, plutôt bruyante mais agréablement décorée dans un style à mi-chemin entre le zen et le campagnard avec beaucoup de bois et une cuisine partiellement ouverte. La clientèle ? Des profs d’université, potentiellement prix Nobel (Berkeley en compte 21, dont 8 vivants), qui lisent The Economist sur leur iPad et des dames aux cheveux grisonnants qui semblent être des habituées. Ce midi-là, on offrait 6 plats sur la carte dont deux végétariens. J’ai choisi les campanelles maison avec des haricots fava, du romarin, de la sarriette et de la ricotta. Martin s’est laissé tenter par du poisson, un « Yellowtail Jack » grillé servi avec des navets, des pommes de terres rôties et du citron. De la cuisine du marché dans sa plus pure expression où tout se joue sur la rigueur. On sent qu’ici, aucun compromis n’est fait sur la fraîcheur et la qualité des aliments, ni sur la précision de l’exécution. Et c’était évidemment excellent. Petit détail, la vaisselle dans laquelle les plats sont servis est créée par un céramiste local. Elle est magnifique, toute douce dans des tons de terre (enfin, de la vaisselle pas blanche!). On peut se la procurer ici.
Alice Waters s’implique dans plusieurs programmes d’éducation liés à l’alimentation. Elle est aussi auteur de nombreux livres de recettes qui me semblent excellents si on veut apprendre à cuisiner simplement avec les légumes de saison. Elle n’est pas traduite en français.
Prix payé le midi pour deux plats, deux verres de vin et deux cafés avant les taxes et le service : 70$.
Greens
Une visite à San Francisco ne pouvait être complète sans un souper chez le pionnier de la haute cuisine végétarienne, Greens. Greens a ouvert il y a plus de 30 ans dans le bâtiment qu’il occupe encore aujourd’hui, un grand entrepôt sur le bord de l’eau, dans le parc de Fort Mason. Greens a toujours été lié au centre Zen de San Francisco et les jardins du centre Zen fournissent encore aujourd’hui la majorité des légumes servis. La chef Annie Somerville utilise des produits d’origine biologique autant que possible.
L’atmosphère n’a rien d’un centre de méditation ni même d’un restaurant végétarien. On se croirait dans n’importe quel restaurant branché de la ville. La salle est décorée d’immenses sculptures de bois aux formes organiques qui servent parfois de tables. La vue est à couper le souffle: devant nous, la marina et derrière, la brume qui laisse lentement paraître le Golden Gate. Ce soir-là, la salle était bondée, remplie de touristes dans la soixantaine et des groupes de jeunes professionnels. Le menu varie selon les saisons et propose ici aussi des plats simples inspirés des arrivages du marché qui rappellent ce qu’on trouve souvent dans les restaurants végétariens : currys, enchiladas, brochettes de légumes. La plupart des plats contiennent des produits d’origine animale.
En entrée, nous avons opté pour des galettes de pommes de terre au cheddar cuites sur une plaque et servies avec une salsa de tomates grillées et de la crème fraîche de même que pour une salade servie avec des croûtons. La salade était assez prévisible, contrairement aux galettes de pommes de terre riches et savoureuses. En plat principal, nous avons partagé des crêpes au romarin farcies d’épinards, de bette à carde, de poireaux et de fromage de chèvre servies avec des pommes de terres, des carottes et des artichauts grillés, une huile citronnée et de la menthe. Un plat sage, mais avec un juste équilibre entre les différentes saveurs et surtout, des ingrédients de première qualité parfaitement mis en valeur.
Prix payé le soir pour deux entrées, deux verres de vin et un plat principal avant taxes et service : 75$.
Greens a aussi un comptoir de take out, parfait pour les piques niques.
Ferry Plaza Farmers Market
Le Ferry Plaza Farmers Market, c’est le garde-manger des chefs et des foodies de San Francisco. Situé dans le port de San Francisco dans un édifice construit à la fin du 18e siècle et habilement rénové pour réouvrir en 2003, le Ferry Plaza Farmers Market est aujourd’hui le marché le plus connu de San Francisco. Le marché est géré par le CUESA, le Center for Urban Education about Sustainable Agriculture. Ça donne le ton. Sur chaque stand, une petite affiche qui décrit le commerçant et indique d’où proviennent ses aliments et par qui ils ont été produits. Le marché a même son livre de cuisine. Une très grande majorité de produits biologiques qui proviennent de petits producteurs de la région. Fruits, légumes, viande, champignons, oeufs, fromages, noix, fleurs. Le marché est ouvert trois jours par semaine et nous avions la chance d’y être le samedi matin, la plus grosse journée. Malgré l’affluence, il y régnait une bonne ambiance assez familiale, je m’y sentais un peu comme dans les marchés de petits villages français où tout le monde se reconnaît. On y a goûté un divin lait d’amande fraîchement préparé, d’innombrables fruits, du pain, de l’huile d’olive. Tout était délicieux et appétissant. Avec un tel choix, il est facile d’être locavore à San Francisco.
Le marché est ouvert les mardis et jeudis, de 10h à 14h et le samedi, de 8h à 14h. Il est situé sur le bord de l’eau, tout au bout de Market Street.
Et encore ?
Je le disais, San Francisco est le paradis du flexitarien. Le lait de soya est offert partout (malheureusement, pour un supplément de 0,50$) et le tofu brouillé est proposé dans tous les restaurants à déjeuner, même à l’aéroport. Tous les restaurants que j’ai visités offraient des options végétariennes et de très nombreux établissements, mêmes les comptoirs à sandwichs, annoncent qu’ils utilisent des produits bio et locaux. Sur la plupart des emballages, le nom du producteur est clairement écrit. Les produits biologiques sont d’ailleurs facilement accessibles, dans les petits marchés de quartier autant que chez Whole Foods, qui ne vend que du bio et qui compte 4 succursales à San Francisco. Par contre, les restaurants 100% végétariens ne semblent pas plus nombreux que dans d’autres grandes villes et le végétalisme est encore marginal. On estime que 3% des Américains seraient végétariens et cette proportion passe à 5% dans la vallée alors que les végétaliens ne compteraient que pour 1% de la population. J’ai quand même déniché quelques tables végans :
Cha-ya
Les végétariens réussissent habituellement à trouver leur bonheur dans les restaurants japonais mais à San Francisco, ils peuvent commander les yeux fermés chez Cha-ya, un restaurant japonais complètement végétarien sur Valencia, dans le magnifique quartier de Mission. Au menu, des sushis, des nouilles soba, des tempura et des rouleaux. Les plats végétaliens (majoritaires) sont clairement identifiés. Rien qui ne réinvente le genre, mais les produits sont frais et les prix sont tous doux : on mange facilement à moins de 10$ par personne le midi.
Gracias Madre
Il y a des limites à ce qu’on peut ingurgiter dans une journée, même lorsqu’il s’agit de légumes, et je n’ai pas pu visiter Gracias Madre qui propose depuis quelques mois seulement des spécialités mexicaines végétaliennes. J’ai entendu beaucoup de bien de leur brunch.
Loving Hut
La chaîne de restos végétaliens d’inspiration asiatique Loving Hut a une succursale dans le Chinatown.
Herbivore
La vallée compte trois succursales d’Herbivore, un « fast food » végétalien.
D’après mes recherches, le seul restaurant offrant de la haute cuisine végétalienne est le Millenium dont j’ai souvent parlé (vous vous rappelez, je suis une fan de leurs livres de recettes) et que j’ai visité deux fois (c’est parfois difficile d’être blogueuse!). Il fera l’objet d’un billet séparé.
Les Californiens sont depuis longtemps des amants de bonne chère et de cuisine et précurseurs des tendances culinaires. Les diètes nées en Californie sont innombrables et les sushis, smoothies et cafés aromatisés qui font maintenant partie de notre quotidien ont d’abord été popularisés sur la côte ouest. Après seulement quelques jours à San Francisco, j’avais l’impression que là-bas, tout le monde cuisinait et pensait avant d’ouvrir la bouche. Même les saucisses des hot dogs vendus sur le traversier d’Alcatraz sont bio (le nom du ranch d’où elles proviennent est même écrit) et les tables des librairies sont remplies d’essais sur les questions liées à l’éthique et à l’alimentation.
Michael Pollan a bien évidemment largement contribué à cette mode et il est malheureux qu’il ne soit pas encore traduit en français. Mais même sans Michael Pollan, il y a fort à parier que la tendance ne s’éteindra pas de si tôt et qu’on continuera au cours des prochains mois à poser des questions et à chercher au Québec de plus en plus de produits bio, que la consommation de viande et de poisson va diminuer et qu’on consommera de plus en plus de produits locaux et sains. Et c’est le temps d’en profiter pendant qu’il fait franchement plus chaud ici qu’à San Francisco !
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