Réponse d’une végane à une paléo

« J’ai été végétarienne pendant trois ans pour des raisons de mieux-être, d’éthique et d’environnement. Puis, quand j’ai vu ma santé décliner, j’ai opté pour une alimentation paléo. »

Dans le dernier numéro du magazine Véro, page 118, on propose un débat pour ou contre le végétarisme. La page est divisée en deux colonnes. Dans le camp gauche, j’explique pourquoi j’encourage l’élimination des protéines animales de notre alimentation. À droite, Aglaée Jacob, qui détient un bac et une maîtrise en nutrition, défend le point de vue contraire à partir de sa propre expérience. Comme je n’ai pas eu l’occasion de lire ses arguments avant de présenter ma position, je vais profiter de ce billet pour lui répondre.

Aglaée Jacob explique qu’elle est en pleine forme et que la « meilleure façon de savoir si un type d’alimentation nous convient, c’est de l’essayer. » Moi, je suis la végétalienne pure et dure. Elle est l’omnivore heureuse. Je m’impose des restrictions, elle est en santé du plaisir à manger de la viande de pâturage, des œufs de poules élevées en liberté et du poisson sauvage. Alors où est le problème?

Consommation de viande et problèmes de santé

J’aurais bien aimé en savoir davantage sur la santé déclinante de madame Jacob lorsqu’elle était végé. Qu’est-ce qu’elle mangeait? Qu’est-ce qui manquait? A-t-elle essayé de modifier ses habitudes avant de se jeter sur son steak saignant?

Heureusement, elle a retrouvé la forme aujourd’hui. Mais « être en forme » n’est pas un indicateur très juste de notre état de santé et des risques qu’on court de développer des maladies chroniques.

Selon Aglaée Jacob, aucune étude ne prouverait que la viande rouge et les gras saturés peuvent être néfastes sur la santé et causer certains cancers. Pourtant, pas besoin de chercher bien loin pour se convaincre du contraire.

Les études sont pourtant nombreuses et les sites de vulgarisation scientifique sont clairs sur le sujet : « Les preuves scientifiques probantes s’accumulent quant au lien entre la consommation de viande rouge et le cancer colorectal. On estime que consommer 100 g de viande rouge quotidiennement accroît le risque de 29 %. » De son côté, la société canadienne du Cancer est sans équivoque : « Les viandes rouges et les viandes transformées augmentent votre risque de cancer. »

Être en forme n’est pas un indicateur très juste de notre état de santé et des risques qu’on court de développer des maladies chroniques

En fait, bien qu’il soit difficile d’isoler l’effet des gras saturés sur les risques d’événements cardiovasculaires, la plupart des sources s’entendent pour dire qu’il faut privilégier les protéines maigres. On a même observé qu’adopter le régime paléo faisait augmenter le taux de « mauvais » cholestérol (LDL). À court terme, rien n’y paraît. Mais le cholestérol en excès se dépose dans la paroi des artères, notamment sur celles du cœur, ce qui les obstrue, diminue l’apport de sang au muscle cardiaque et favorise la formation d’un caillot à l’origine d’un infarctus du myocarde. Tout va bien… tant que les artères ne sont bas obstruées.

Récemment, le Dr Kim A. Williams, président élu de l’American College of Cardiology (qui regroupe 40 000 membres) faisait les manchettes en expliquant qu’il recommande à ses patients en surpoids, qui font de l’hypertension, du diabète de type II ou qui ont un taux élevé de cholestérol de devenir véganes. Il a lui-même éliminé toutes les protéines animales de son alimentation en 2003 pour abaisser son taux de cholestérol.

Et le poisson? Tous les poissons sauvages peuvent contenir des résidus de métaux lourds comme le mercure, ce qui affecte le développement et le fonctionnement du cerveau. Ils peuvent aussi contenir des produits chimiques industriels (BCP, dioxines) et des pesticides comme le DDT. De nombreux spécialistes recommandent d’ailleurs aux femmes enceintes ou allaitantes ainsi qu’aux jeunes enfants de limiter leur consommation de poissons sauvages à cause de leur toxicité.

L’art de se déculpabiliser

La jeune adepte du régime paléo ne se soucie pas seulement de sa santé : « Mon alimentation comporte de la viande, certes, mais je n’ai pas l’impression qu’elle a un impact négatif sur l’environnement. Je fréquente les marchés fermiers, je contacte les agriculteurs de ma région pour obtenir des pièces de viande; je sais donc d’où proviennent les aliments qui se retrouvent sur ma table et quels agriculteurs élèvent leurs vaches de façon respectueuse. »

Si, pour Aglaée Jacob, il suffit de se sentir bien pour savoir qu’on a une alimentation équilibrée, il semble aussi que la bonne volonté soit suffisante pour éliminer les conséquences environnementales de l’élevage et pour que les animaux soient bien traités.

Ce n’est malheureusement pas le cas. Acheter sa viande d’un petit producteur local et souriant n’en fait pas pour autant une source de protéines durable. En fait, le bilan environnemental d’une adepte du régime paléo serait moins important si elle achetait sa viande à l’épicerie. En effet, les bovins élevés en pâturage émettent davantage de méthane que ceux élevés de façon intensive.

Il semble que la bonne volonté soit suffisante pour éliminer les conséquences environnementales de l’élevage et pour que les animaux soient bien traités.

De 2 à 20 acres de terre agricole sont nécessaires pour élever un bœuf en pâturage. Malgré ce qu’essaient de se faire croire les néocarnistes, l’élevage bio n’est absolument pas la solution à la crise environnementale. Car, peu importe le type d’élevage, on dépensera toujours plus d’énergie et d’eau pour obtenir des protéines animales que des protéines végétales. Produire de la viande pour se nourrir ne peut pas se faire sans « impact négatif sur l’environnement. »

On peut aussi se demander comment madame Jacob définit un élevage « respectueux ». Tous les animaux qu’elle consomme ont été abattus sans qu’on « respecte » leur intérêt à vivre. Les petits frères des poules qui pondent ses œufs ont même été broyés à la naissance tandis que les oiseaux qui produisent son poulet sont génétiquement les mêmes que dans les élevages industriels. Sélectionnés pour grossir le plus rapidement possible, ils souffrent toute leur vie de douleurs articulaires et sont entassés dans des cages pour être amenés à l’abattoir alors qu’ils n’ont même pas deux mois.

L’illusion des paléos

Aglaée Jacob défend une alimentation paléo. L’idée, c’est de revenir à notre alimentation originale, celle de nos ancêtres. Manger ce qu’on est faits pour manger. Le régime paléo, c’est l’appel à la nature, à notre nature, puissance 10. Sauf que nous ne sommes pas biologiquement identiques à nos ancêtres, nous n’avons pas accès à la même nourriture qu’eux et leurs habitudes étaient beaucoup plus diversifiées qu’on nous le laisse croire. Et surtout, il est aussi dans notre nature d’évoluer et de s’adapter à notre environnement.

Oui, nos ancêtres devaient être chasseurs-cueilleurs pour survivre, mais le monde a changé en 10 000 ans. La médecine a évolué, notre espérance de vie est beaucoup plus longue que celle de nos ancêtres et nous devons traiter et prévenir de nouvelles maladies. L’environnement n’est pas le même et nous sommes maintenant plus de 7 milliards à devoir partager des ressources naturelles limitées. Nous avons aussi développé notre sens moral et nous nous accordons sur le principe qu’il ne faut pas causer de souffrance et tuer sans nécessité.

En définitive, lorsqu’on considère tous ces éléments, comment ne pas se demander si le régime paléo, en fermant les yeux sur 10 000 ans d’évolution, n’est pas simplement une tentative naïve et maladroite de continuer à manger son steak sans trop culpabiliser?