Ce texte est paru dans le journal L’Itinéraire du 15 janvier 2016.
Le 4 décembre dernier, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité le projet de loi 54 qui modifie le statut juridique de l’animal. Les élus se sont levés pour dire que « Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques. »
Lorsque Sophie Gaillard, Martin Gibert et moi-même avons lancé le manifeste Les animaux ne sont pas des choses il y a à peine deux ans, nous étions loin de nous imaginer qu’il susciterait un quelconque intérêt en dehors de nos cercles d’amis et des réseaux animalistes. Ce sont pourtant plus de 52 000 personnes qui nous ont appuyées en demandant, elles aussi, une réforme du Code civil. La question a presque immédiatement attiré l’attention des médias, puis celle du ministre de l’Agriculture qui a signifié son intention de prendre les choses en main avant de déposer le projet de loi. Chose rare, même les commentateurs du Journal de Montréal n’ont pas trouvé grand-chose à redire.
En France, une réforme similaire avait pourtant donné lieu à de vifs débats. La défunte UMP avait voté contre, alléguant que la mesure faisait « planer des menaces graves et sérieuses sur les filières agricoles de l’élevage ». Rien de tout ça de notre côté de l’Atlantique.
C’est donc un consensus social aussi rare que remarquable qui émerge autour de l’idée que les animaux méritent notre considération morale et qu’on ne devrait pas leur infliger de souffrance inutile. Il n’empêche, malgré tous les efforts que fait l’industrie pour envelopper la viande, les œufs et les produits laitiers d’images d’animaux gambadant dans des prés verdoyants, chacun sait bien que la réalité est tout autre. On ne peut ignorer que les poules pondeuses sont élevées dans des cages minuscules, des cages dans lesquelles elles ne peuvent se déplacer ou ouvrir leurs ailes. On ne peut fermer les yeux sur la castration à froid des porcelets mâles pour éviter que leur viande ne développe un mauvais goût ou sur la souffrance des vaches laitières lorsqu’on les sépare de leurs veaux. Peut-on faire comme si les poissons ne mouraient pas d’asphyxie et souvent après de multiples blessures ? Et je ne parle pas des scènes d’horreur que rapportent les activistes dès qu’ils réussissent à faire pénétrer une caméra dans les élevages ou les abattoirs.
On aime les animaux. On leur veut du bien. Collectivement, nous condamnons la cruauté, mais dans un même temps, nous encourageons l’élevage industriel en mangeant du jambon et du fromage. C’est le paradoxe de la viande: aimer les animaux et reprendre du bacon. On utilise diverses stratégies mentales pour s’en sortir, pour dissocier l’animal de la nourriture. Et parmi toutes ces stratégie, la plus populaire c’est tout simplement d’éviter d’y penser. La viande est partout, quoi de plus « normal »?
Et si on s’ouvrait les yeux? Et si on changeait la norme? Quand aurons nous le courage et la volonté d’aligner nos pratiques sur nos valeurs ?
Le statut juridique des animaux a changé et on ne peut que s’en réjouir. Mais à quoi bon reconnaître qu’ils sont doués de sensibilité et qu’ils ont des impératifs biologiques si c’est pour continuer à les instrumentaliser pour notre simple plaisir gustatif ?