Tactiques véganes au Texas et ailleurs

James McWilliams est professeur d’histoire à l’Université du Texas. C’est aussi un prolifique auteur sur les questions relatives à notre rapport à l’alimentation et tout particulièrement au véganisme. Il est un collaborateur régulier à The Atlantic et aussi un ami. Il m’a permis de traduire ce texte, récemment paru sur son blog personnel. ED

Techniquement, devenir végan est plutôt simple : ne rien consommer qui provient d’un animal. J’écris ceci en habitant au Texas où tout est plus gros, ce qui s’applique aussi aux produits d’origine animale. Mais même ici à Austin, où une cabane à barbecue fumante est toujours à deux pas, ma décision d’éviter tous les produits d’origine animale a non seulement été bonne pour ma santé, l’environnement, moralement saine et économique, elle a aussi été plutôt facile. C’est rester végan, qui pour plusieurs, peut être l’étape difficile.

Le défi se pose parfois quand nos convictions personnelles se frottent aux conventions sociales : les repas de fêtes, les vacances et ces autres moments qui tournent autour de la culture omnivore. Dans ces cas-là, pour plusieurs raisons, dont des questions d’étiquette, nous sentons la pression de mettre un peu de flexibilité dans notre diète.

Tous les végans convaincus ont des histoires à raconter où ils ont affronté des occasions sociales centrées autour de la viande. Mon expérience la plus mémorable est arrivée lorsque j’ai gagné un prix qui était offert avec une bourse importante et un dîner somptueux. L’événement avait lieu à Dallas et j’étais assis à table avec quelques donateurs bien nantis et, assez étonnamment, avec le compositeur Stephen Sondheim. Le repas consistait en une tranche épaisse de steak saignant entouré d’une rivière de beurre où quelques pommes de terres et haricots verts nageaient. Tout dans mon assiette était totalement interdit, même les haricots ne pouvaient être récupérés. Le repas était servi en mon honneur, et toutes ces personnes généreuses et bien intentionnées voulaient que je mange.

En un mot : malaise.

Cet événement m’a transformé. C’est à ce moment que j’ai décidé qu’être végan mènerait inévitablement à des tensions occasionnelles avec les autres. C’est aussi le moment où j’ai décidé que ces tensions seraient leur problème, pas le mien. Oui, ce serait le problème de Stephen Sondheim, pas le mien. Alors, pour m’assurer que j’avais bien la colonne vertébrale en place, j’ai expliqué dans les termes les plus polis possible que j’ai choisi de ne pas manger d’aliments d’origine animale pour des raisons éthiques. Pause gênante. Par la suite, tous se sont lancés dans une discussion passionnée sur le baseball et la politique qui a duré tout le repas. Une belle soirée et, je le jure, Sondheim m’a même fait un clin d’œil. Une fois à l’hôtel, je me suis fait livrer une pizza végane. Je l’ai savourée.

J’ai entrepris mon chemin vers le véganisme il y a plusieurs années. Je faisais de la recherche pour un livre et je suis devenu plus plus familier avec les arguments environnementaux contre l’agriculture animale. Ces justifications environnementales m’ont amené à adopter une sorte de véganisme pragmatique – on peut dire paresseux (ce qui, évidemment, n’est pas du véganisme). J’ai mangé de cette façon pendant environ un an, en trichant quand c’était pratique de le faire et en restant fidèle aux principes lorsque c’était pratique de le faire. L’effort a été suffisant pour faire descendre mon taux de cholestérol, tout en gardant le malaise social au minimum.

Mon épiphanie végane est arrivée plus tard. Lorsque j’ai réalisé qu’aucun animal ne devrait souffrir pour satisfaire mon palais, je me suis engagé à suivre une diète végane, peu importe la situation sociale ou le niveau de malaise. Aujourd’hui, je survis et m’épanouis comme végan. Je suis des stratégies qui, si elles fonctionnent au Texas, peuvent fonctionner n’importe où. Voici quelques leçons que j’ai apprises en étant végan dans un coin de pays qui chasse, tue et mange des animaux avec une dévotion évangélique.

Mettre le chef au défi :

Lorsqu’on je suis confronté à un menu très carné dans un bon restaurant, je demande au serveur de demander au chef de me préparer le meilleur repas végan possible. Et ça marche. Je me retrouve généralement avec le meilleur plat sur la table. Les chefs ont des égos, et ils aiment relever des défis.

Persuader le chef :

Une stratégie similaire consiste à persuader un restaurant d’avoir une option végane sur son menu. J’ai eu un succès inespéré avec cette approche. Après avoir partagé quelques-unes de mes chroniques défendant le véganisme avec le gérant d’un restaurant d’Austin, je l’ai invité à luncher et lui ai proposé d’ajouter un plat végan sur son menu. Après avoir reconnu que les entrées les plus populaires étaient effectivement véganes, il m’a promis d’y réfléchir. Deux semaines plus tard, son resto offrait un tajine sans viande ni produits laitiers. On prend le succès là où on peut le trouver.

Lire le menu de façon créative :

Lorsqu’on ne peut pas trouver de plat adéquat, on fait avec ce qu’on a. Les végans finissent par apprendre à étudier les menus de restaurant différemment des non-végans. Nous éditons, coupons et collons constamment. Nous improvisons, en espérant pouvoir ajouter un peu plus de ceci et en enlevant tout cela. Les restaurants sont presque toujours ouverts à ces changements, bien qu’on doive être prêt à un éventail de réactions. Commander une pizza végétarienne sans fromage est probablement la demande la plus fréquente. Lorsque je l’ai faite récemment à Eugene, en Oregon (probablement l’endroit sur terre le plus convivial pour les végans), j’ai eu droit à un hochement de la tête sympathique. En France, j’ai eu un haussement d’épaules [McWilliams utilise le terme Gallic shrug] et un « pas de fromage ?! ». À Houston, au Texas, mon serveur m’a regardé comme si mes cheveux étaient en feu. Mais j’ai eu ma pizza.

Naviguer dans le party :

Les soupers sont différents. Depuis que je suis sorti du garde-robe végan, je ne suis probablement pas invité aussi souvent que je l’étais, mais ce n’est rien de grave. Je n’ai pas été gêné de faire la promotion du véganisme et ceux qui continuent de m’inviter sont extrêmement accommodants. Et puisque les allergies et les restrictions alimentaires font partie de la vie, les hôtes demandent généralement s’il y a des diètes particulières. Naturellement, les BBQ sont omniprésents au Texas, avec des colons du dimanche qui grillent leur dernière « prise ». La solution, ici, est de soit arriver avec ses propres végéburgers ou, mieux encore, de boire une bière ou deux de plus et de manger plus tard. Ne jamais, jamais oublier que la bière est (souvent) végane.

Peu importe la situation, être végan dans un monde agressivement non-végan demande une combinaison délicate de respect des autres et de fierté envers ses propres choix. Les végans ne devraient jamais insulter les non-végans et en même temps, on ne devrait jamais s’excuser d’être végan. J’essaie d’exercer mon militantisme végan avec humilité et sincérité. J’essaie de le faire en me rappelant que toute tentative de faire la promotion d’une diète végane ne me concerne pas (peu importe à quel point la situation est délicate), mais concerne plutôt les milliards d’animaux qu’on tue chaque année, souvent parce qu’on mange ce qu’il y a dans nos assiettes sans réfléchir. Et en même temps, si mon choix de ne pas manger d’animaux blesse des gens, ce n’est pas mon problème, c’est le leur.