Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’éthique animale il y a quatre ou cinq ans, rares étaient les sources d’information en Français. À part le premier livre de Jean-Baptiste et quelques textes de militants, rien. Puis il y a eu la « conversion » de Georges Laraque, la version française de Earthlings et l’arrivée les Lundis sans viande au Québec. Du coup, les médias ont commencé à aborder la question. On a eu droit à quelques excellents reportages dont celui de Richard Martineau aux Francs Tireurs. Est ensuite venue la traduction française de Eating Animalset j’ai l’impression que tout a déboulé. On parles du traitement qu’on fait des animaux, on se questionne sur notre rapport avec eux, c’est énorme. Plus on en parle, plus on sait, plus il est difficile d’ignorer ce qui se passe derrière les portes closes des élevages quand vient le temps de faire notre marché.
Payer le prix
Ce week-end, La Presse a publié un grand reportage sur le bien-être animal signé par Marie Allard. Un des meilleurs dossier sur la question publiés au Québec. On y visite des élevages de poules pondeuses et de cochons, on rencontre des agronomes, des philosophes. On compare aussi nos façons de faire avec ce qui se fait ailleurs. Une des conclusions du dossier est que le bien-être des animaux n’est pas assuré au Québec. En revanche, produire mieux est possible, mais ça coûtera plus cher. Pour M. Lefebvre, un producteurs d’oeufs cité dans l’article, les gens ne sont pas prêts à payer le prix du bien-être animal : « Demain matin, si on ne produisait que des oeufs de poule en liberté au Québec, des gens prendraient leur auto pour aller acheter des oeufs moins chers de l’autre côté de la frontière (…) Tout le monde est pour la vertu, mais il faut s’assurer que ce soit viable. » Vraiment ? Pourtant, en Australie où la Loi oblige un étiquetage des oeufs selon le type d’élevage, on a observé une baisse des ventes d’oeufs de poules en cage de plus de 50% dans certains supermarchés.
J’ai longuement abordée la question du prix des aliments dans mon livre. Je continue de penser qu’on ne peut pas justifier les mauvaises pratiques par une question d’argent. Accepterait-on que nos vêtements soient produits par des esclaves pour sauver quelques dollars ? Il devrait en être de même pour ce qu’on met dans nos assiettes. Maintenant qu’on sait comment sont produit nos aliments, qu’on connait le vrai coût de la viande pas chère, on ne peut plus se fermer les yeux.
Imaginons qu’au moment de choisir notre coupe de viande à l’épicerie, nous soyons exposés aux images de poules débecquées, de truies prises dans leurs cages de gestation, de porcelets stérilisés à froid, de poulets gelés pendant le transport ou de porcs dépecés vivants. Imaginons devoir nous baigner dans une rivière polluée par un déversement de lisier ou subir une infection à la salmonellose en échange de viande bon marché. Imaginons que l’on nous demande de choisir entre mordre dans un steak juteux et nourrir six personnes. La plupart d’entre nous se tourneraient vers d’autres sources de protéines. (…)
Si le « consommateur moyen » ne semble pas prêt à investir davantage dans son alimentation, c’est qu’on lui cache le coût réel des aliments bon marché. Le consommateur n’a pas le système qu’il mérite : il n’a pas demandé le système actuel. (…)
À partir du moment où l’on comprend que notre consommation de viande contribue aux souffrances de milliards d’animaux, à la déforestation, au réchauffement climatique, à la pollution, à l’épuisement des réserves pétrolières, à des problèmes de santé et de faim dans le monde, on ne voit plus aucune justification au maintien du système actuel. La viande « pas chère » nous coûte beaucoup trop cher. Nous sommes à peu près tous d’accord pour dire que les animaux devraient être traités avec respect, que nous avons la responsabilité de préserver l’environnement et que nous devons faire preuve de solidarité humaine. Mais lorsque nous mangeons de la viande, des œufs ou des produits laitiers issus de l’élevage industriel, nous agissons comme si notre plaisir gustatif devait passer avant nos valeurs. Plus je lis et réfléchis sur ces questions, plus j’ai l’impression que le système actuel ne fait que des victimes. Les animaux, l’environnement, les consommateurs, mais aussi les éleveurs coincés par des marges si faibles qu’ils doivent tout faire pour réduire leurs coûts.
Nous nous retrouvons, au terme de cinquante ans d’industrialisation de l’élevage, pris dans un engrenage qui ne mène qu’à plus de souffrance. Et c’est d’autant plus surprenant dans un petit État comme le Québec, où la majorité des aliments d’origine animale sont produits localement et où, mieux encore, plusieurs productions sont protégées par la mise en marché collective et subventionnées par le gouvernement. À vouloir consommer le plus de viande possible au plus faible coût, nous tournons nous-mêmes la manivelle de l’engrenage qui nous emporte. Pourtant, il serait facile de changer les choses. Il suffirait seulement de choisir avec discernement ce que nous mettons dans nos assiettes et de modifier notre rapport à l’agriculture. Plus nous nous intéresserons à la façon dont sont élevés les animaux que nous man- geons, plus nous poserons des questions, plus l’industrie deviendra transparente et se transformera. Les éleveurs québécois produisent pour nous, Québécois. Pourquoi ne pas exiger que nos aliments reflètent davantage nos valeurs ? Pourquoi ne pas se donner le système que l’on mérite ?
Je mange avec ma tête, p. 50-51
Et il faut aussi garder en tête qu’on a de la marge et qu’il existe des alternatives. Au Canada, nous consacrons aujourd’hui 9 % de notre revenu à l’alimentation. C’est l’une des proportions les plus faibles des pays développés (en Italie et en France, par exemple, la proportion est de l’ordre de 15 %). Et dans les années 1960, c’était près de 20 %! On peut aussi choisir de manger moins de viande, d’oeufs, de fromage ou de boire moins de lait. Je donne souvent l’exemple des graines de lin qui constituent une excellente alternative aux oeufs dans les gâteaux et les muffins. 1 cuillère à soupe de graines de lin et deux cuillères d’eau pour un oeuf. J’ai déjà fait le calcul, 0,10$. Contre 0,34$ pour un oeuf « ordinaire ».
Bref, maintenant qu’on sait, qu’est-ce qu’on attend pour manger avec sa tête ? On a les moyens…