Les saumons cultivés sont-ils bien élevés ?

Les problèmes du saumon d’élevage

Tartare de saumon, canapés de saumon fumé, sashimi de saumon, darnes de saumon fourrées au chèvre. Rares sont les semaines où les participants à Un souper presque parfait n’ont pas droit à deux ou trois portions de saumon. Le saumon semble avoir remplacé le poulet comme l’aliment passe-partout que tout le monde aime, avec l’avantage d’être à la fois santé, un peu chic et aussi riche en goût qu’en oméga3. Pas étonnant qu’on mise sur lui pour rapporter 2000$. Mais ce qui est aussi fascinant avec le saumon, c’est que c’est le poisson le plus cultivé en captivité. L’essentiel des saumons consommés proviennent de l’aquaculture et les cultures de saumons semblent reproduire dans l’eau tous les problèmes des élevages industriels sur terre.

Si on consomme essentiellement du saumon d’élevage, c’est que le saumon de l’Atlantique a pratiquement disparu des océans. La population de saumons de l’Atlantique a déjà été de quatre à cinq fois supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui. D’ailleurs, au 19e siècle, le saumon était tellement courant que sur les fermes françaises, les journaliers faisaient préciser dans leur contrat qu’on ne devait pas leur en servir plus d’une fois par semaine (de quoi donner des idées aux participants d’Un souper presque parfait). Deux facteurs expliquent leur déclin rapide au 20e siècle : des barrages ont été construits sur les rivières les plus riches en saumons et les résidus de pesticides chimiques utilisés en agricultures ont affaibli le système nerveux des saumons, les rendant plus vulnérables aux prédateurs et modifiant leurs comportements de migration.

Devant l’effondrement des stocks de saumon sauvage, des norvégiens ont développé dans les années 60 et 70 des techniques d’élevage de saumon et on croisé des familles de saumons de rivière pour mettre sur le marché un saumon qui grandit deux fois plus rapidement que le saumon sauvage, réduisant d’autant les coûts d’élevage.

La plupart des aquacultures qui élèvent des saumons fonctionnent de la même façon, avec le même type de poisson, qu’elles soient en Norvège, au Chili, au Royaume-Uni ou au Canada. Les saumons sont élevés en deux étapes. D’abord, les œufs éclosent et les jeunes poissons grandissent sur terre, dans de grands réservoirs d’eaux douce et de douze à dix-huit mois plus tard, ils sont transférés dans des cages flottantes ou dans de grands filets qu’on dépose en mer où ils seront engraissés pendant un an ou deux avant d’être récoltés.

On pourrait croire qu’on a là la parfaite alternative au saumon et autres poissons sauvages victimes de surpêche. On a aussi avec le saumon d’élevage une protéine bonne au goût, bonne pour la santé, qui se cultive facilement et à bas coût. Sauf que l’élevage du saumon amène un certain nombre de problèmes environnementaux à cause desquels les saumons d’élevage se retrouvent sur les listes rouges de poissons à éviter.

Ce vidéo est loin d’être parfait mais a le mérite de nous faire visiter une aquaculture de saumon.

Des problèmes environnementaux

  • L’élevage intensif de saumons attire des parasites comme les poux de mer et des infections contagieuses comme l’anémie qui a affecté les élevages de saumon partout à travers le monde, ravageant des fermes complètes en quelques jours. Tant les poux de mer que l’anémie peuvent être transmis aux saumons sauvages.
  • Les éleveurs utilisent des pesticides pour combattre ces parasites et les biologistes craignent que ces pesticides s’accumulent dans le plancton et se retrouvent dans toute la chaîne alimentaire. On a d’ailleurs récemment trouvé des traces d’un pesticides illégal dans des saumons d’aquaculture du Nouveau-Brunswick et non loin de là, des homards morts sans qu’on en comprenne la cause.
  • Il est fréquent que les saumons d’élevage s’échappent de leurs filets pour se retrouver en mer avec leurs cousins. Les nouveaux arrivants bien gras et bien roses ont toutes les chances du monde de plaire aux saumons sauvages qu’ils vont rencontrer et de se reproduire avec eux. Sauf que le génome du saumon d’élevage est maintenant différent du saumon sauvage et cette rencontre risque de créer un saumon sauvage plus faible, incapable de nager contre les courants, de résister aux fluctuations de température et d’échapper aux prédateurs, ce qui vient affaiblir davantage les derniers saumons sauvages.
  • Trois saumons produisent autant de déchets qu’un humain. C’est donc dire qu’une ferme moyenne de 200 000 saumons répand dans l’environnement autant de matières fécales qu’une petite ville de 60 000 habitants, mais on a ici des déchets non traités contentant souvent des antibiotiques et des pesticides qui s’en vont directement dans l’eau. Les déchets des poissons additionnés aux surplus de nourriture qui ne sont pas consommés causent une concentration importante d’azote autour des élevages, favorisant la croissance d’algues vont utiliser l’oxygène qui aurait pu permettre à d’autres poissons de se développer.

Ces problèmes pourraient être mieux contrôlés si les aquacultures utilisaient des contenants fermés plutôt que des filets pour amener les saumons à maturité. Sauf que ces techniques sont dispendieuses et le marché est hautement compétitif. Qui accepterait de payer son tartare plus cher sachant que les saumons ont été élevés dans des contenants fermés ?

  • Le problème le plus important avec le saumon d’élevage reste que ces petites bêtes requièrent une énorme quantité de nourriture. Le saumon est un carnivore (comme le bar, la daurade et les truites par exemple) et il mange d’autres poissons. Du poisson qu’on va pêcher en mer pour le transformer en boulettes (disons des bâtonnets de poissons pour poissons) et le redonner aux saumons. On peut difficilement justifier le fait de devoir pêcher trois kilos de sardines et de hareng qu’on aurait très bien pu manger nous-mêmes pour produire un kilo de saumon.

Pour la première fois de l’histoire, l’aquaculture a mis en 2010 plus de poissons dans nos assiettes que ne l’a fait la pêche traditionnelle. Le poisson d’élevage est souvent beaucoup plus rentable que le poisson sauvage et cette inversion des courbes devrait s’amplifier dans les années qui viennent. Avec elle, les responsabilités des éleveurs et chercheurs qui doivent trouver comment alimenter les poissons qui nous nourrissent, sans vider davantage les océans.

Un saumon OGM ?
Au cours des dernières semaines, on a beaucoup parlé d’un saumon OGM développé à l’Ile-du-Prince-Édouard qui grossissait encore plus rapidement. Aux États-Unis, la FDA a déclaré que son étiquetage ne serait pas obligatoire et le Canada n’a pas encore statué sur la question. Pour en savoir plus, on peut se balader sur le blog de Marion Nestle qui a suivi l’histoire de près.

Le saumon, c’est santé ?

Comme la viande provenant d’élevages industriels, les saumons d’aquaculture contiennent des pesticides, des antibiotiques et même des colorants (sans quoi, leur chair ne serait pas rose). Les concentration des contaminants sont plus importantes dans les saumons d’élevage que dans les saumons sauvage.  Certaines études concluent d’ailleurs qu’on ne devrait pas consommer plus de deux portions de saumon d’élevage par mois à cause des risques qu’ils présentent pour la santé.

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Bref, plutôt que d’être une judicieuse alternative à la pêche, la culture du saumon affaiblit les espèces indigènes, cause des dommages environnementaux, constitue un gaspillage de ressources et pose un risque pour la santé humaine. On nous offre depuis peu du saumon dit « biologique », mais les règles de certification ne font pas consensus et le saumon bio semble tout aussi dommageable pour l’environnement que son cousin « traditionnel » et contiendrait même davantage de contaminants – le mouvement SlowFood condamne cette appellation. Peu importe comment on aborde la question, je ne vois pas de justification à la consommation de saumon d’élevage. La solution la moins pire si on tient à impressionner ses invités avec un tartare serait de choisir du saumon sauvage de l’Alaska dont les stocks demeurent abondants et où les pêches sont généralement gérées de façon durable. Sauf qu’on ne pourra jamais manger du saumon du pacifique trois fois par semaine.

Comme le dit Paul Greenberg auteur de Four Fish, on devrait assez vite envisager de remplacer le saumon par des alternatives plus écolo, du bas de la chaîne alimentaire comme les sardines. On peut aussi faire du « faux saumon » végé en suivant une recette inspirée par le resto Aux Vivres. Et je suis certaine que l’originalité et la conscience environnementale vaudraient bien quelques points à n’importe quel participant d’Un souper presque parfait.