Design à la sauce hollandaise

L’univers de la designer culinaire Marije Vogelzang

Proef signifie « expérimenter » et « goûter » en néerlandais. C’est le nom du restaurant de la designer Marije Vogelzang à Amsterdam. C’est Eve qui m’en avait parlé brièvement sur Twitter : « Essaie ça » m’avait-elle écrit en réponse à un commentaire dans lequel je disais qu’il était assez difficile de bien se nourrir dans la capitale néerlandaise  – il faut savoir que je venais de passer quelques jours à engouffrer des sandwichs coincés entre des présentations Powerpoint.

Je me suis donc rendue chez Proef sans vraiment savoir à quoi m’attendre. Je n’avais eu que quelques secondes pour visiter le site – tout juste le temps de noter l’adresse pour réaliser que la rue sur laquelle se trouve le resto n’avait pas été visité par Google Street View. Bonjour l’aventure. La soirée était quand même parfaite pour découvrir un nouveau coin de la ville. Depuis mon arrivée, je n’avais eu que de la pluie mais ce soir-là, il faisait particulièrement beau et chaud pour septembre. On aurait même dit que le soleil avait décidé de repousser son heure coucher pour nous permettre de profiter des terrasses un peu plus longtemps.

Proef s’est installé dans un grand parc parsemé de buildings industriels recyclés, un peu comme The Distillery à Toronto avec quelques restos, un ciné et des galeries. Tout au bout du parc, le petit immeuble qui loge le restaurant de Marije Vogelzang. Autour, un grand jardin avec quelques tables pour prendre l’apéro. À l’intérieur, une cuisine assez minimale qui s’ouvre sur une salle ne pouvant contenir plus d’une trentaine de convives répartis autour de quatre grandes tables de bois garnies d’immenses vases de fleurs coupées. Un plafond très haut, des murs à l’état brut. L’ensemble me donnait l’impression d’un squat temporaire, un peu comme le restaurant dans Soul Kitchen de Fatih Akin, en format réduit.

On m’a placée juste à côté de la cuisine. J’allais pouvoir regarder le chef à l’oeuvre, jeter un oeil au plongeur qui semblait tout droit sorti des pages du centerfold Têtu et échanger quelques mots avec mes voisins, un couple de retraités qui découvraient eux aussi Proef. La serveuse m’a vite expliqué le concept : Marije Vogelzang est graduée la prestigieuse académie de design d’Eindhoven et a choisi la nourriture comme matériau pour exercer son art. Elle a longtemps offert ses services comme traiteur et Proef n’est ouvert comme restaurant que depuis juin dernier. Le menu propose une quinzaine de petits plats, tous à base de produits locaux et bio qu’on est invité à partager (mes voisins de table m’ont d’ailleurs vite proposé un peu de chips de légumes, adorable). J’ai suivi les recommandations de la maison en commandant d’abord les radis croquants et haricots verts avec fromage de chèvre au miel, les légumes grillés aux herbes du jardin et l’oignon rouge avec mayonnaise à la moutarde. Des plats d’une surprenante simplicité, absolument savoureux. L’oignon, par exemple, était cuit au four dans sa peau et servi coupé en deux et garni de mayonnaise. Rien d’autre. Et on avait là le meilleur oignon au monde, doux, tendre, juteux. Et il faut dire que tout est merveilleusement bien présenté – on est chez une designer après tout. Les plats sont servis dans le la vaisselle vintage et dépareillée et une attention toute particulière est portée aux détails. Les tranches de pain sont percées à l’emporte-pièce pour qu’on puisse y glisser un petit pot d’humus alors que les sauces sont servies dans de tasses de porcelaine. Le menu est écrit à la main et truffé de petits dessins rigolos, aux bouteilles d’eau est accroché une étiquette indiquant qu’elle provient du robinet. Difficile d’autant sourire la bouche pleine.

On comprend vite que ce que nous propose Marije Vogelzang, c’est une redécouverte du plaisir de goûter. D’ailleurs, un coup d’oeil à son livre Eat Love nous fait réaliser l’ampleur de sa démarche. Vogelzang a été invitée partout à travers le monde pour réaliser des dizaines de projets autour de la nourriture. Elle réfléchit non seulement à ce qu’on place dans l’assiette mais aussi à tout ce qui entoure l’acte de manger. L’atmosphère, l’histoire des ingrédients, les couleurs, les textures. Elle a notamment créé une vague de nourriture sur une table de trois mètres où étaient alignés des dizaines de petites bouchées. D’une bouchée à l’autre, seul un ingrédient change, ce qui amenait les invités à réfléchir aux goûts des aliments dans différents contextes. Il y a quelques années, elle a aussi organisé un souper où les convives étaient assis derrière une grande nappe accrochée au plafond et qui n’est fendue que pour laisser passer la tête et les mains, ce qui modifie complètement le rapport des invités entre eux. Inspirant.

On peut voir Marije Vogelzang nous parler de son travail dans ce petit reportage diffusé sur Arte. Son livre Eat, Love est superbe. Il a gagné plusieurs prix et est disponible pour seulement 31$ sur Amazon.ca.

On peut aussi consulter le site de l’artiste et du restaurant Proef.

**
Photos : http://www.marijevogelzang.nl