Le paternalisme libertaire

La méthode douce pour inspirer la bonne décision… appliquée à l’alimentation

J’ai depuis longtemps l’intuition que si on nous proposait par défaut un repas végétarien dans l’avion ou dans les banquets, rares seraient ceux qui feraient l’effort de commander un repas carné. On aurait ainsi, comme société, les bénéfices d’une réduction de consommation de viande sans pour autant brimer la liberté de choix. Je viens de tomber sur des données qui me donnent raison. Et j’aime bien avoir raison, encore plus sur des questions relatives au raisonnement !

À tort ou à raison

Dans une brillante série de billets publiés sur Interactu.net, Hubert Guillaud cherche à savoir si l’étude des comportements peut permettre de les changer. Le premier billet reprenait la thèse de Dan Ariely, auteur du best seller C’est (vraiment?) moi qui décide, (bouquin chouchou de Martin), selon laquelle nos décisions ne sont absolument pas rationnelles. Pour Ariely, notre pire travers repose sur la puissance de nos habitudes. “Quand nous sommes confrontés à un nouvel environnement, nous avons sans cesse à prendre des décisions. Elles peuvent être faites de manière réfléchie ou pas, elles peuvent être faites sur la base d’informations réelles ou pas, mais quand nous sommes à nouveau confrontés à cet environnement, nous nous souvenons de ce que nous avons fait la fois précédente. Nous ne nous souvenons pas nécessairement pourquoi, mais nous avons tendance à répéter nos décisions précédentes encore et encore.” Dans un supermarché, vous essayez un jus de fruit à moitié prix pendant un temps. Puis vous le reprenez parce que vous vous y êtes habitués, même si son prix n’est plus aussi avantageux.

Par petits coups

Puis, partant de l’idée que nous n’agissons pas rationnellement, on peut se demander comment on peut nous amener à agir pour le bien collectif. Dans Nudge, Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness de Richard Thaler et Cass Sunstein, on parle de “paternalisme libertaire”. “Le concept derrière le paternalisme libertaire est qu’il est possible de conserver la liberté de choix – donc l’idée libertaire – tout en faisant évoluer les gens dans des directions qui améliorent leurs vies – d’où l’idée de paternalisme”. Dans l’introduction de Nudge que reprend Guillaud dans son second billet, on apprend entre autres que le placement des légumes, des plats et des desserts proposés dans une cafétéria a un effet capital sur leur consommation. En modifiant le positionnement et la présentation des aliments sur la ligne de choix d’un buffet, on peut augmenter ou diminuer leur consommation de quelque 25 % ! On peut ainsi parvenir à jouer (un peu) sur la consommation d’aliments diététiques ou d’aliments gras ou sucrés… ou même végétariens ! « Les nudges (petites poussées gentilles) n’ont aucun caractère contraignant. Mettre les fruits à la hauteur des yeux des enfants, cela compte comme un nudge. Mais certainement pas interdire les snacks, confiseries et sucreries. »

Un autre exemple rapporté par Guillaud est encore plus éloquent : « Quand on est invité à diner dans une conférence, le repas par défaut est un repas carné. Un serveur demande néanmoins à chaque participant s’il souhaite un repas végétarien et rares sont les personnes qui en font la demande. Mais que se passerait-il si les choix étaient inversés ? Les organisateurs d’une conférence ont fait l’expérience : ils ont fait du déjeuner végétarien l’option par défaut. Résultat : 80 % du public de la conférence a opté pour les légumes. Non pas parce qu’il y avait beaucoup de végétariens dans la foule, mais parce que le choix a été présenté différemment. »

Transformer les options par défaut et agir sur l’inertie naturelle de l’homme, voilà qui me semble la voie à privilégier si on veut modifier en profondeur les comportements humains pour réduire la souffrance animale, améliorer la qualité de notre environnement et  notre santé.

Si vous avez encore faim :

Le blog de Nudge de Richard Thaler et Cass Sunstein
Dan Ariely à TED sur les failles de notre code moral